Contubution :
Sénégal : l’État face aux dérives des “chroniqueurs amateurs” — Quand la liberté d’expression menace la crédibilité médiatique
Responsabilité, régulation et éthique : les grands défis d’un espace médiatique en perte de repères
Le Sénégal, longtemps cité en exemple pour la vitalité et la liberté de sa presse, fait aujourd’hui face à un nouveau phénomène : la montée inquiétante des “chroniqueurs amateurs” et des “connaît-tout médiatiques”, dont les interventions quotidiennes sur les plateaux télé, les radios et les réseaux sociaux contribuent à dévoyer la mission première du journalisme.
Ces acteurs, souvent sans formation ni ancrage professionnel, s’autoproclament analystes, experts ou “décodeurs” de l’actualité, au mépris de l’éthique, de la vérification et du respect de la déontologie.
Le résultat est préoccupant : désinformation, manipulation de l’opinion, discours de haine et perte de confiance du public dans les médias traditionnels.
La responsabilité première de l’État : protéger sans bâillonner
L’État du Sénégal ne peut rester indifférent face à cette dérive qui menace la stabilité sociale et la cohésion nationale.
Garant des libertés publiques, il doit en même temps protéger la liberté d’expression et préserver l’intégrité du débat public.
La mission des autorités étatiques est double :
Assainir l’espace médiatique en appliquant les textes existants, notamment le Code de la presse et les règlements sur la communication audiovisuelle ;
Soutenir les organes de régulation dans l’exercice impartial et ferme de leurs prérogatives.
Face à la banalisation du mensonge et du sensationnalisme, la neutralité ne suffit plus : il faut agir avec fermeté et discernement.
Responsabilité des patrons de presse et directeurs de programmes
Les patrons de presse, rédacteurs en chef et directeurs de programmes portent une part essentielle de responsabilité dans cette crise.
Par souci d’audience ou de rentabilité, certains laissent proliférer des chroniqueurs sans compétence, qui transforment les espaces d’information en tribunes d’opinions non fondées.
Or, la liberté éditoriale ne doit pas être synonyme de laxisme.
Les responsables de rédaction ont le devoir de :
Sélectionner leurs intervenants sur la base de compétences réelles et de probité morale ;
Garantir le contrôle éditorial sur les contenus diffusés ;
Préserver la dignité et la crédibilité du journalisme sénégalais, reconnu pour son professionnalisme historique.
Organes de régulation : l’urgence de la fermeté
Le CNRA et la Commission de la carte nationale de presse disposent de textes clairs, mais leur efficacité dépend de la volonté d’appliquer des sanctions exemplaires.
Il ne s’agit plus de simples avertissements, mais de mesures fortes contre les récidivistes :
Suspension temporaire de programmes incitant à la haine ou à la désinformation ;
Retrait d’agrément pour les organes complices de pratiques anti-éthiques ;
Sanctions disciplinaires contre les journalistes ou chroniqueurs non détenteurs de la carte de presse.
Car sans autorité réelle, la régulation devient un simple décor démocratique.
Le rôle attendu de la société civile et des journalistes professionnels
La société civile doit jouer son rôle de veille citoyenne, en dénonçant les dérives et en soutenant les médias responsables.
Les journalistes professionnels, eux, doivent se distinguer clairement des chroniqueurs opportunistes, en défendant l’éthique, la rigueur et la vérification des faits.
Il est temps de redonner à la presse sénégalaise sa fonction de service public, non de spectacle.
La crédibilité médiatique du pays dépendra de la capacité collective à corriger les dérives sans étouffer la liberté.
Pour un assainissement ferme et juste de l’espace médiatique
Le Sénégal n’a pas besoin de moins de liberté, mais de plus de responsabilité.
La démocratie se renforce quand la presse informe, éclaire et élève le débat — non quand elle manipule, divise ou désoriente.
L’heure est venue de resserrer les mailles du filet juridique, de professionnaliser les acteurs, et de corser les sanctions contre les abus flagrants.
C’est à ce prix que le Sénégal préservera ses acquis démocratiques et restaurera la dignité du journalisme, pilier de toute République responsable.
Mamadou Camara, journaliste communicant
Sénégal/Kaolack