CONTRIBUTION – Oui à l’Acte 4 de la décentralisation, mais osons fusionner nos agences et repenser nos territoires
Par Cheikh Tidiane Sarr, journaliste, membre du Cercle des Communicants en Décentralisation (2CD)
Spécialiste de la décentralisation, de la gouvernance locale et du développement territorial
📧 Princedusaloum@gmail.com | 📞 75 833 33 47
Une nouvelle étape pour la gouvernance territoriale
L’annonce du ministre de l’Urbanisme, des Collectivités territoriales et de l’Aménagement du territoire, Balla Moussa Fofana, d’aller vers l’Acte 4 de la décentralisation, marque une nouvelle ère dans la gouvernance territoriale au Sénégal.
Selon lui, cette réforme ambitionne de corriger les déséquilibres historiques et de faire émerger des pôles territoires, véritables leviers de souveraineté économique et de justice sociale.
Je salue cette volonté politique et partage pleinement la vision du ministre lorsqu’il affirme que « les pôles territoires seront la revanche de nos territoires sur les déséquilibres historiques. »
Oui, cette réforme est nécessaire. Mais elle doit aller plus loin : oser la rationalisation institutionnelle et repenser nos territoires.
Une décentralisation à l’épreuve du temps
Depuis l’indépendance, le Sénégal a fait le choix d’une décentralisation prudente, progressive et irréversible.
Trois grandes étapes ont marqué ce processus :
1. La réforme de 1972
Elle pose les premiers jalons des libertés locales avec la création des communautés rurales, la promotion de la déconcentration et la régionalisation du plan.
2. La réforme de 1996
Elle consacre la régionalisation et modifie profondément les relations entre l’État et les collectivités locales.
Cette réforme renforce la libre administration, élargit les domaines de compétences (neuf au total), et introduit de nouveaux dispositifs pour appuyer les collectivités en moyens humains, matériels et financiers.
Mais des limites persistent :
faiblesse du cadre organisationnel,
manque de viabilité économique des territoires,
architecture territoriale rigide,
gouvernance éclatée entre trop d’acteurs,
mécanismes de financement incohérents.
3. L’Acte 3 de la décentralisation
Adopté en 2013, il a constitué une avancée majeure.
Son objectif : organiser le Sénégal en territoires viables, compétitifs et porteurs de développement durable.
L’Acte 3 a notamment :
supprimé la région comme collectivité locale,
érigé les départements en collectivités locales,
instauré la communalisation intégrale,
adopté un nouveau Code général des Collectivités locales.
Selon Oumar Guèye, ancien ministre des Collectivités territoriales :
> « L’Acte 3 a redonné la dignité aux anciennes communautés rurales devenues des communes de plein exercice. Toutes les communes sont désormais d’égale dignité. »
Il soulignait aussi que cette réforme a accru les ressources financières transférées aux collectivités grâce à la Contribution Économique Locale (CEL), aux ristournes et au fonds de péréquation minier, sans oublier le PACASEN.
L’Acte 4 : un tournant à saisir
Inscrit dans la stratégie nationale de développement 2025-2029 et la vision Sénégal 2050, l’Acte 4 ambitionne de bâtir des territoires viables, compétitifs et attractifs, fondés sur la gouvernance, la justice sociale, le développement durable et le capital humain.
Mais pour être efficace, cette réforme doit dépasser les intentions et oser la refondation des structures existantes.
Fusionner pour plus d’efficacité
Le Sénégal compte aujourd’hui une multiplicité d’agences dont les missions se chevauchent :
l’Agence de Développement Municipal (ADM),
l’Agence de Développement Local (ADL),
l’Agence Nationale de l’Aménagement du Territoire (ANAT).
Je propose leur fusion en une seule entité : une Grande Agence nationale du Développement Territorial.
Cette structure unique garantirait :
une cohérence accrue des politiques publiques,
une rationalisation des dépenses,
une mutualisation des ressources,
un appui technique renforcé aux collectivités territoriales.
Ce serait un acte fort de bonne gouvernance, un signal d’efficacité publique et un pas décisif vers la souveraineté territoriale.
L’Acte 4 doit régler les vraies questions
Cette réforme ne doit pas se limiter à une réorganisation administrative.
Elle doit s’attaquer aux questions de fond :
le statut de l’élu local et de ses adjoints,
la clarification des limites territoriales (souvent sources de conflits fonciers),
la restructuration des finances locales,
la gestion durable de l’eau,
et le renforcement des ressources humaines au sein des collectivités.
Le développement économique local ne se décrète pas
Il se construit.
C’est la création de valeur par et pour les territoires, à travers la mobilisation de leurs ressources, acteurs et savoir-faire, sous le pilotage actif des collectivités territoriales.
En misant sur l’économie de proximité et la valorisation des spécificités locales, on crée des emplois durables, on renforce le lien social et on améliore la qualité de vie.
Conclusion : oser la refondation
La décentralisation n’est pas qu’une affaire politique.
C’est une école de responsabilité et de confiance.
Osons faire de l’Acte 4, non pas une réforme de plus, mais la véritable refondation territoriale du Sénégal.
Cheikh Tidiane Sarr journaliste